Comprendre l’autarcie — et pourquoi une riposte coordonnée à Trump est illusoire
Bonjour à toutes et à tous,
Je vous reviens aujourd’hui avec un nouveau terme qui permet d’éclairer certaines des politiques économiques mises de l’avant par Donald Trump : l’autarcie. Et en prime, on parlera du problème de l’action collective, qui rend toute réponse coordonnée à ses politiques particulièrement difficile.
Qu’est-ce que l’autarcie?
L’autarcie, c’est l’idée qu’un pays peut (et devrait) produire lui-même tous les biens et services dont il a besoin. C’est une logique d’autosuffisance, qui rejette la dépendance au commerce international. En pratique, peu de pays peuvent fonctionner en autarcie complète — mais certains essaient d’en approcher.
La vision économique de Donald Trump
Donald Trump a largement misé sur cette logique. En imposant des tarifs douaniers massifs sur les importations et en incitant au retour de la production sur le sol américain, il cherche à réduire la dépendance économique des États-Unis envers l’étranger. C’est une forme moderne d’autarcie, teintée de nationalisme économique.
Les limites de l’autarcie
Mais cette approche a des conséquences. Aucun pays — même aussi puissant que les États-Unis — n’est complètement autonome. Washington dépend fortement des importations pour :
- des terres rares, essentielles aux technologies,
- du lithium, pour les batteries,
- des produits pharmaceutiques ou agricoles qu’il ne peut produire à grande échelle.
En voulant tout rapatrier à l’intérieur des frontières, on augmente les coûts, on freine l’innovation, et ce sont surtout les consommateurs qui en écopent.
Faut-il répondre par des contre-tarifs?
La réponse classique à une politique tarifaire agressive est l’imposition de contre-mesures. Mais cela crée une guerre commerciale sans fin. Une stratégie alternative, plus subtile, consisterait à contrôler les exportations vers les États-Unis.
Autrement dit, plutôt que de taxer les produits américains entrant chez nous, on pourrait restreindre la sortie de nos propres produits stratégiques à destination des États-Unis. Cette approche a un avantage clé : les profits générés par ces restrictions demeurent dans les coffres des pays exportateurs, et non dans les revenus tarifaires du gouvernement américain.
Une stratégie qui demande une action collective… difficile
Pour que cette stratégie fonctionne, il faudrait une coordination entre tous les pays visés par les tarifs américains — incluant même la Chine. Cela suppose une action collective : une entente commune pour limiter les exportations vers les États-Unis, et ainsi leur faire sentir le coût de leur unilatéralisme commercial.
Mais c’est là que le problème de l’action collective se pose.
Ce que nous apprend Mancur Olson
Le politologue et économiste Mancur Olson a été l’un des premiers à formaliser ce problème dans son ouvrage majeur The Logic of Collective Action (1965). Olson explique que, dans un groupe, plus il y a d’acteurs impliqués, plus il est difficile d’obtenir une coopération soutenue. Chacun a intérêt à laisser les autres faire l’effort tout en profitant des bénéfices — c’est ce qu’on appelle le comportement de passager clandestin (free rider). Ce phénomène rend très instable toute tentative de coordination à grande échelle.
Le piège classique de l’action collective
Même lorsque plusieurs pays partagent un objectif commun, chacun a intérêt à tricher. L’incitatif est toujours présent : laisser les autres restreindre leurs exportations et, soi-même, profiter d’un accès privilégié au marché américain.
On retrouve ce même dilemme dans des cartels comme l’OPEP. Les membres s’engagent à limiter leur production pour faire monter les prix du pétrole, mais il devient vite tentant pour certains de produire un peu plus que leur quota. Résultat : l’entente s’effrite.
Et le Canada dans tout ça?
Dans ce contexte, il est peu réaliste d’espérer un large appui international à une riposte coordonnée. Ce qui est plus probable, ce sont des négociations bilatérales entre les différents pays et l’administration Trump. Chacun tentera de sécuriser un traitement de faveur, à l’abri de la politique agressive et unilatérale des États-Unis.
Le Canada ne pourra donc pas compter sur un front commun. Tout au plus peut-on s’attendre à des gestes ponctuels de certains partenaires pour faciliter les échanges ou limiter les dommages collatéraux. Mais rien de plus.
Et aussi pénible que cela puisse nous sembler, nous n’aurons pas le choix de négocier avec les Américains, que ce soit directement ou dans le cadre nord-américain de la révision de l’ACEUM. L’un n’empêche cependant pas l’autre : ces négociations avec les États-Unis peuvent et doivent coexister avec nos efforts de diversification commerciale, notamment avec les pays européens dans le cadre de l’AECG et les membres du Partenariat transpacifique global et progressif (PTPGP). Renforcer nos liens avec d’autres partenaires est une stratégie de résilience à long terme, complémentaire à la gestion du rapport de force avec notre voisin immédiat.
Heureusement, nous pouvons compter sur une équipe de négociateurs canadiens chevronnés. Comme ils l’ont démontré lors de la renégociation de l’ALÉNA, ils sauront défendre nos intérêts bec et ongles, même dans des conditions particulièrement tendues.
Il n’y aura pas de retour en arrière
Il faut aussi se rendre à l’évidence : le libéralisme économique tel que nous l’avons connu — fondé sur des règles multilatérales et la libre circulation des biens — appartient désormais au passé. L’unilatéralisme, les rapports de force, et la redéfinition des chaînes d’approvisionnement sont la nouvelle norme. Et cela exige une adaptation constante.
Et au final… qui gagne?
Peu importe les stratégies adoptées pour répondre aux politiques économiques de Donald Trump, il n’y aura que des perdants du point de vue des États. Les relations commerciales seront plus tendues, moins efficaces, et les chaînes d’approvisionnement plus coûteuses. Mais cela ne signifie pas que tout le monde perd.
Certains groupes privilégiés tireront profit de ce nouvel état des relations commerciales internationales. Des entreprises protégées de la concurrence étrangère, certains secteurs industriels favorisés, ou des groupes ayant un accès direct aux décideurs politiques peuvent très bien sortir gagnants de ce désordre organisé.
Et cette réalité nous ramène à une notion fondamentale que nous n’avons pas encore abordée ici : l’économie politique — c’est-à-dire la façon dont les intérêts particuliers influencent les décisions publiques. Ce sera le thème d’un prochain billet.